samedi 10 mai 2008

Le PASTEUR ET LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION AU CAMEROUN




INSTITUT DE PHILOSOPHIE SAINT-JOSEPH-MUKASA
Affilié à l’Université Pontificale Salésienne - Rome
B.P. 185 Yaoundé (Cameroun).


Séminaire de Philosophie Sociale et Politique l’aspect religieux et participation au développement :
Le pasteur et le développemen


Par
Ignace Jonathan EYELE ZOA
et
Charles Dieudonné MBOUDOU



à
M. Paul BIANGMOUA BINZOULI



Année Académique 2007-2008
(Premier semestre)


Plan


INTRODUCTION
I - APPROCHE DEFINITIONNELLE
1 - Le pasteur
2 - La corruption
3 - L’Eglise
4 - La crise
5 - Les mœurs
II-PRESENTATION DU CAMEROUN
1 - Présentation géopolitique
2 - Présentation religieuse et sociale
III-LA CORRUPTION
1 - Manifestations de la corruption
2 - Les conséquences de la corruption
IV-ACTION PASTORALE CONTRE LA CORRUPTION
1 - Justification de la mission du pasteur
a)- Nature et raison d’être de l’Eglise
b)- Exigences de la mission
2 - Action pastorale des évêques dans la lutte contre la corruption
a)- L’enseignement
b)- Les commissions « justice et paix »
c)- L’action culturelle des pasteurs contre la corruption
3- Limites de l’action pastorale
a)- Limites
b)- Propositions
CONLUSION


INTRODUCTION.


Il est devenu monnaie courante de nos jours au Cameroun d’entendre parler de « corruption » aussi bien dans les discours privées, officiels que dans les médias. Ainsi peut-on par exemple lire sur des affiches au bord des routes des slogans tels « stop à la corruption ». L’emploi récurrent de ce terme nécessite dès lors que l’on se penche un tant soit peu sur sa définition. Le constat est d’autant plus amer que ce phénomène se manifeste tant sur les plans individuel, collectif et institutionnel. Plus encore, la corruption semble constituer la principale cause du sous-développement en Afrique et particulièrement au Cameroun. En effet, comment comprendre au regard des nombreuses potentialités humaines, matérielles et culturelles dont regorge le Cameroun, la misère dans laquelle croupit les populations ? Face à toutes les interrogations dont cette gangrène sociale peut susciter et compte tenu du fait que les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes sont aussi les siennes, le pasteur en tant que promoteur du développement harmonieux et intégral de l’homme se sent obliger de prendre position et de proposer des esquisses de solutions pour éradiquer ce fléau.
Dans le cadre de notre travail, nous nous appliquerons particulièrement à montrer le rôle du pasteur dans la lutte contre la corruption considérée comme principale cause du sous-développement au Cameroun. Pour y arriver, nous ferons dans un premier temps une approche définitionnelle de tous les termes centraux que nous utiliserons dans la suite de notre réflexion. Dans un deuxième temps, nous ferons une présentation géopolitique du Cameroun suivie d’une analyse de la corruption en passant par ses manifestations et ses conséquences. Dans un troisième temps, nous exposerons sur le rôle du pasteur en passant par la justification de sa mission, l’historique et l’action de l’Eglise puis nous essayerons de dégager quelques limites qui peuvent entraver cette mission et des suggestions pour l’améliorer.
I - APPROCHE DEFINITIONNELLE.

Au cours de notre réflexion, un certain nombre de termes sera utilisé soit avec récurrence soit analysé en profondeur comme thème de chapitre. Dans le but de rendre leur compréhension plus aisée, nous en donnons une approche définitionnelle suivant les différentes sources.

1 - Le pasteur.

Originaire du latin, le mot pasteur « pastor » c’est-à-dire « paître » désigne un berger. C’est un homme qui garde et fait paître les troupeaux. Selon le dictionnaire PETIT ROBERT, le pasteur est un chef, un conducteur. Dans le langage courant, il représente le guide spirituel d’un groupe ou d’une communauté. Dans son sens religieux, il désigne un ministre du culte, un prêtre, un évêque qui a charge d’âmes.

2 - La corruption.

D’après le dictionnaire LAROUSSE, le terme corruption désigne l’action de corrompre quelqu’un. C’est le fait de soudoyer une personne pour qu’elle agisse contre son désir. Selon le cardinal Christian TUMI, « c’est le fait de donner quelque chose à quelqu’un pour qu’il aille contre un principe [1]». Le catéchisme de l’Eglise Catholique pour sa part en donne les différents aspects. Ainsi, la corruption serait le fait de « retenir injustement des biens prêtés ou des objets perdus, frauder dans le commerce, payer des injustes salaires, hausser des prix en spéculant sur l’ignorance ou la détresse d’autrui, détourner le jugement de ceux qui doivent prendre des décisions selon le droit, la contre façon des chèques et des factures, les dépenses excessives, le gaspillage »[2].

3 - L’Eglise.

Traduit tour à tour de l’hébreux «qâhâl » et du grec « ekklésia », le terme Eglise que nous retrouvons dans le Nouveau Testament désigne l’ « assemblée des croyants » c’est-à-dire ceux qui ont été appelés par Dieu pour former une communauté. D’après l’encyclopédie ENCARTA[3], l’Eglise est une société humaine avec une organisation et des institutions qui la caractérise. En outre ces deux conceptions de l’Eglise, pour les protestants, l’Eglise est la communauté des croyants naissant de la parole de Dieu annoncée et de son accueil par la foi. Pour les catholiques romains et selon le Concile Vatican II, l’Eglise est le « sacrement du salut » c’est-à-dire signe et moyen du salut pour les hommes.
4 - La crise.

D’origine grecque, « krisis » c’est-à-dire « décision », désigne un changement subit, à effets défavorables et souvent décisifs survenus dans le cours normal des choses. D’après le dictionnaire LAROUSSE[4], elle est une période difficile, une situation tendue, une manifestation aiguë d’un trouble physique ou moral. Communément, elle représente l’ensemble des égarements moraux d’une société.

5 - Les mœurs.

Terme d’origine latine, les mœurs « mores » c’est-à-dire « coutumes » désignent les pratiques sociales, usages communs à un groupe, un peuple, une époque. D’après le dictionnaire LAROUSSE, c’est l’ensemble des règles codifiées par la morale sociale.
Ainsi définis, et compte tenu du fait que dans l’étude de tout phénomène, les critères espace-temps sont toujours pris en compte, nous allons dans la suite de notre réflexion procéder à une présentation géopolitique religieuse et sociale du Cameroun.

II-PRESENTATION DU CAMEROUN.

1 - Présentation géopolitique.

Pays d’Afrique centrale, le Cameroun dont la superficie est de 475440 kilomètres carrés a pour capitale politique Yaoundé. République unitaire décentralisée dont la population s’élève au moins à 16 millions d’habitants (avec 50% de moins de 20 ans)[5], ce pays à régime parlementaire avec des instruments (ministères) de démocratie directe, compte l’anglais et le français comme langues officielles (avec 20% d’anglophones dans les provinces du sud-ouest et du nord-ouest et 80% de francophones[6]). De même, le pays compte environ 210 ethnies dont les principales sont : les bantous, les bamoun, les bamilékés, les foulbés, les pygmées qui vivent dans les forêts. Entre sahel et Afrique équatoriale, le Cameroun affiche une diversité de paysages et de climats qui, ajoutée à sa mosaïque d’ethnies, lui valent bien le surnom de «petite Afrique ». Les frontières dessinent un triangle dont la pointe au nord touche le lac Tchad et N’djamena. La base plonge dans le golf de guinée. Sa plus longue frontière est avec le Nigeria, le grand voisin à l’ouest. Au sud, le Cameroun jouxte la Guinée-équatoriale, le Gabon et le Congo Brazzaville. A l’est, le Centrafrique et le Tchad. En dehors de ses frontières, le climat du Cameroun varie du sud au nord. Ainsi nous passons d’un climat équatorial à un climat tropical puis sahélien. Le pays très montagneux culmine au sud-est le mont Cameroun (4100m) qui domine l’océan Atlantique. Riche d’une importante forêt tropicale humide qui abrite une dizaine de parcs et réserves naturelles protège qui protègent une faune et une flore remarquable. Le sol volcanique à l’ouest et au sud-ouest est très fertile et l’hydrologie favorable aux cultures fait du Cameroun un pays essentiellement agricole.

2 - Présentation religieuse et sociale.

Pays de la zone franc, le Cameroun dont l’occupation humaine est avérée depuis le paléolithique connaît en 1841 la première arrivée missionnaire, celle des missionnaires baptistes qui s’installent à Fernando Pô. En 1879 les missionnaires presbytériens arrivent à leur tour et commencent l’évangélisation en pays boulou. En 1890, les premiers missionnaires catholiques (allemand) accostent les rives du wouri et s’installent à Marien Berg (ville de Marie). De nos jours, le Cameroun compte 40%[7] de chrétiens dont 25% de catholiques et 15% de protestants. Les musulmans représentent 20% et sont particulièrement majoritaires au nord et dans les îlots d’ethnies dont les chefs coutumiers sont convertis de longue date, comme à Foumban (province de l’ouest). Les animistes constituent 40% de la population.
Pays essentiellement agricole (avec 40% des exportations, 13% dans le commerce)[8], le Cameroun connaît une croissance de 5% du produit intérieur brut. Toutefois, la moitié de la population vit avec moins d’un dollar par jour car 75% de la main d’œuvre urbaine travaille dans le secteur informel. Les infrastructures routières dont 4300 km de routes goudronnées et 30000 km de pistes de latérite, 1000 km de voies ferrées, 2000 km de voies fluviales, 5 ports)[9] permettent un approvisionnement mutuel entre les 13% de villages et les villes. Toutefois, notons que malgré des efforts de la part du gouvernement de lutter contre la pauvreté et les maladies à travers les campagnes de vaccination, le taux de fécondité est de 4,6% par femme, le taux de mortalité infantile de 88 pour mille et l’espérance de vie de 49 ans pour les femmes, 47 ans pour les hommes et 12% de la population est atteinte par le virus du sida.
Ainsi quoique forêts, montagnes et cascades, biodiversités et sol fertile mais aussi villages sans eau potable, ni électricité, villes surpeuplées et polluées s’entremêlent avec un peuple cultivé, multiethnique et courageux, traditions préservées et ferveur religieuse, au Cameroun, un fléau mine la société : la corruption. Quelles sont ses manifestations ? Quelles sont ses conséquences ? Autant de questions auxquelles nous essayerons de trouver une réponse adéquate à la suite de notre réflexion.



III-LA CORRUPTION.

Reconnue à juste titre comme un « grave problème de morale publique »[10], la corruption au Cameroun est perçue à travers diverses manifestations aux conséquences nombreuses.

1 - Manifestations de la corruption.

Au Cameroun, la corruption se manifeste sous des formes différentes. Ainsi comme forme de corruption la plus onéreuse, nous avons l’attribution des marchés publics. Pour attribuer un marché public au lieu de considérer uniquement le sérieux et la compétence de l’entreprise qui propose ses services, on cherche d’abord à savoir combien elle est prête à verser sous la table, si c’est en plus une entreprise nationale, on cherche à savoir la tribu du directeur et le contrat signé, on s’assure qu’en cas de non livraison, on ne sera jamais poursuivi par la justice.
Comme autre forme de manifestation, nous avons le domaine fiscal et douanier En effet, certains inspecteurs sans scrupules sont souvent prêts à annuler des sommes importantes dues par des entreprises à l’Etat moyennant des bénéfices personnels. Encouragés par ces exemples, d’autres agents de l’Etat se livrent à leur tour à des multiples marchandages. Comme exemple, douaniers et forces de l’ordre extorquent l’argent des usagers au bord des routes, à la sortie des ports et des frontières que ces derniers soient en règle ou non. C’est la loi de l’impunité généralisée qui se manifeste aussi à travers la vente des permis de conduire à des chauffeurs inexpérimentés.
Dans le domaine de l’éducation, les affectations et les nominations du personnel administratif se négocient selon des taux convenus ou sur l’appartenance au même « réseau » que le fonctionnaire en charge. Il va de même pour certains examens officiels et concours soit d’entrée dans les lycées ou des collèges soit dans les grandes écoles.
Dans le domaine de la santé, le personnel médical exige de l’argent avant de regarder un patient. Ainsi, les taux de consultations varient d’un centre de santé à un autre, d’un spécialiste à un autre. En outre, certains agents de santé détournent soit les médicaments des patients, soit ceux destinés au centre de santé pour les revendre à leur bénéfice personnel. Dans ce sillage, même les échantillons gratuits sont l’objet de ce commerce. En dehors de la santé, une autre forme de corruption qui se manifeste au Cameroun est non seulement l’impunité mais aussi l’arbitraire dont le secteur judiciaire fait preuve. En effet, au Cameroun, il est devenu très commode voire normal de retrouver un brigand arrêté quelques heures ou quelques jours avant en circulation ou même de retrouver des personnes innocentes incarcérées. Il suffit juste d’être soit couvert par une personne haut placée ou même de verser au procureur une certaine somme d’argent pour retrouver sa liberté. Plus encore, si on ne veut pas juger une affaire délicate ou bien si les concernés n’ont pas encore versés « la caution », le verdict de l’affaire sera renvoyé de longue date.

2 - Les conséquences de la corruption.

Face à toutes ces différentes manifestations de la corruption dans la société camerounaise, il s’ensuit plusieurs conséquences perceptibles à tous les niveaux et sur toutes les couches de la société.
Comme première conséquence en ce qui concerne l’attribution des marchés, il en résulte que l’on retrouve trop souvent dans les appels d’offre, des aventuriers qui sont non seulement incompétents mais aussi ont pour seule activité, le gaspillage des fonds de l’Etat. Et le résultat n’est observable qu’à travers le nombre de chantier public inachevé et abandonné qui représentent un danger permanent pour les citoyens car ils sont les abris des bandits de grand chemin.
Comme autre conséquence, nous avons dans le secteur fiscal et douanier des pertes énormes de la part de l’Etat car le fait pour les agents d’annuler des grandes sommes d’argents redevables à l’Etat pour des bénéfices personnels, il s’ensuit que ce dernier ne peut plus assumer normalement ses engagements. Résultat, il y a manque d’écoles, de routes, de centres de santé, et c’est l’analphabétisme, c’est même aussi le chômage, la délinquance juvénile, la toxicomanie, la prostitution qui s’installent. Dans le domaine de la sécurité, le fait pour des agents des douanes, de la police, et des agents de transports publics de fermer les yeux sur la circulation des biens et des personnes et même de vendre des permis de conduire à des chauffeurs inexpérimentés, il en résulte que des véhicules en mauvaise état et leurs chauffeurs sont tout bonnement laissé en circulation représentant ainsi un danger permanent pour les usagers de la route. Les cas indicatifs sont ainsi la multitude de panneaux rencontrés au bord des grands axes signalant le nombre de mort de suite d’un accident de circulation.
De plus, dans le domaine de l’éducation, il se passe que, par le fait de l’existence d’un corps enseignant corrompu, les parents et les élèves se mettent à l’approche des examens à la rechercher des réseaux de négociation des épreuves et des diplômes. De même, cette attitude conduit aussi la jeunesse à être convaincue que la réussite est moins dans l’effort et la recherche de l’excellence que dans la capacité d’user de son pouvoir et de son avoir pour gravir des échelles sociales. Il résulte alors, une paresse intellectuelle marquée par la course vers des diplômes étrangers dont les occasions d’obtention sont réputées faciles, un manque de crédibilité des diplômes à l’extérieur, une incompétence dans la prestation des services, un manque de conscience professionnelle.
Dans le domaine de la santé, le fait pour le personnel de santé de vendre ou de détourner des médicaments et de les revendre pour leur bénéfice personnel, il en résulte que les malades deviennent les proies de certains professionnels véreux de la santé. De même, les malades de condition modestes ne peuvent satisfaire leurs exigences médicales et comme ils n’ont pas assez de moyens, ils renvoient à plus tard leur visite et il s’ensuit une mortalité élevée, une espérance de vie en baisse.
Dans le domaine de la justice, le fait que le système judiciaire qui a pour mission de faire régner l’équité, à travers ses juges et ses procureurs, vende les jugements au plus offrant, engendre un manque de foi en la justice. Ainsi, « les palais de justice deviennent des épouvantails pour les justiciables pauvres et sans relation »[11]. De même, les populations qui ont perdues confiance en la justice se font elles-mêmes justice. Conséquences, on assiste à des cas de justice populaire qui remplacent la justice officielle car des camerounais qui ont cesse de voir des bandits arrêtés aussitôt remis en liberté, estiment au mépris de la vie humaine, que la meilleure solution est de tuer ces malfaiteurs sur place. Plus encore, la lutte contre le grand banditisme devient dans nos cités un prétexte à des nouvelles formes de violences qui se manifestent par de nombreuses tortures, de blessures graves et d’assassinats pratiqués sur des personnes ayant dénoncées un malfaiteur ou sur leurs familiers : c’est la loi des règlements de comptes.
En somme, il apparaît que le Cameroun malgré sa situation géopolitique, sociale et religieuse enviable est un pays en proie à un fléau très complexe : la corruption qui constitue un frein énorme à son développement. Face aux nombreux effets dont celle-ci est la cause et compte tenu de la place primordiale du pasteur dans la société, une question s’impose à savoir : Quel rôle ce dernier a-t-il à jouer dans la lutte contre cette gangrène sociale ?

IV-ACTION PASTORALE CONTRE LA CORRUPTION.


L’Eglise Catholique à travers ses pasteurs que sont au premier rang les évêques, scrute partout où elle se trouve dans le monde « les signes des temps » pour déceler les maux qui minent et entravent le plein épanouissement des peuples afin d’y rechercher des solutions appropriées à la lumière de l’Evangile de jésus Christ qu’elle porte et annonce avec joie à tout le genre humain.
En effet, la situation de sous-développement généralisée, de misère matérielle, spirituelle et morale, de précarité où vit la plupart des masses sinon l’ensemble des Etats africains touche profondément les pasteurs qui y perçoivent ainsi un appel pressant à œuvrer au relèvement tous azimuts de leurs frères en détresse. L’un des facteurs prépondérant de cette situation sur lequel ils portent leur effort de lutte est la corruption, gangrène sociale qui affecte toutes les sphères sociales.
Dans le cas du Cameroun, les évêques notamment ont posé un certain nombre d’actions propres à leur qualité de guides du peuple de Dieu et d’éveilleurs des consciences à savoir : L’enseignement (à travers des homélies, des prêches, des lettres, des publications diverses, des catéchèses, des séminaires de formation et d’information, des conférences), la liturgie ( administration des sacrements, des prières…), la mise sur pied et la promotion des structures et œuvres en vue de la promotion harmonieuse de l’homme ( commission justice et paix, œuvres de charité et initiatives de développement). Nous nous proposons dans cette partie, dans un premier temps de justifier, à la lumière des textes du magistère, la mission du pasteur et dans un deuxième temps, nous présenterons quelques actions de l’Eglise et de ses pasteurs dans la lutte contre la corruption ainsi que les limites qui peuvent s’y greffées. Dans un troisième temps, nous donnerons une esquisse de solutions.

1 - Justification de la mission du pasteur.

Pour mieux comprendre l’action de l’Eglise et de ses pasteurs dans la promotion humaine, il importe de connaître d’une part sa nature et d’autre part les exigences missionnaires qui en découlent.

a)- Nature et raison d’être de l’Eglise.

La nature de l’Eglise est perçue à un double niveau : d’une part visible et invisible et d’autre part divin et spirituel. En effet, « le Christ, unique médiateur a établi et sans cesse soutient ici-bas sa sainte Eglise, qui est une communauté de foi, d’espérance et de charité, comme un organisme visible par lequel il répand sur tous la vérité et la grâce [….]. Ainsi, par analogie qui n’est pas sans valeur, elle est comparable au mystère du verbe incarné. De même en effet, que la nature assumée par le verbe divin lui sert d’instrument de salut, instrument vivant et indissolublement uni à lui-même, de même cet organisme ecclésial sert à l’esprit du Christ qui le vivifie en vue de la croissance du corps (cf. Ep 4, 16). […..] C’est elle que Pierre et les autres Apôtres furent chargés par lui de répandre et de guider (cf. Mt 28, 18 s), elle a enfin qu’il établit toujours « colonne et soutien de la vérité » (cf. Tm 3, 15). Cette Eglise constituée et organisée en ce monde comme une communauté, subsiste dans l’Eglise catholique, gouverné par le successeur de Pierre et les évêques en communion avec lui »[12].
Ainsi présentés, l’Eglise et ses pasteurs se veulent des acteurs, des instruments ancrés au cœur des réalités sociales car, le monde qu’ils ont en vue « est celui des hommes, la famille humaine tout entière avec l’univers au sein duquel elle vit. C’est le théâtre où se joue l’histoire du genre humain, le monde marqué par l’effort de l’homme, ses défaites et ses victoires »[13]. Ainsi «communicant aux meilleurs aspirations des hommes et souffrant de les voir insatisfaits, [l’Eglise] désire les aider à atteindre leur plein épanouissement, c’est pourquoi elle leur propose ce qu’elle possède en propre : une vision globale de l’homme et de tout l’homme »[14]. Ce service de l’homme recouvre de nombreuses exigences auxquelles la mission évangélisatrice de l’Eglise doit satisfaire pour atteindre son but.

b)- Exigences de la mission.

Pour s’incarner à l’image de son fondateur Jésus Christ dont elle prolonge l’action, l’Eglise dans son action missionnaire « a le devoir à tout moment, de scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l’Evangile, de telle sorte qu’elle puisse répondre, d’une manière adaptée à chaque génération, aux questions éternelles des hommes sur le sens de la vie présente et future et sur leurs relations réciproques ». Il importe donc de connaître et de comprendre ce monde dans lequel nous vivons, ses attentes, ses aspirations, son caractère. Or un certain nombre de facteurs détériorent la valeur absolue de ces aspirations, ce qui pousse l’Eglise à y porter une sollicitude particulière pour remettre « l’homme debout ». La corruption puisqu’il faut la nommée est répandue dans tous les Etats du monde et sévit avec acuité dans les « pays en voie de développement » dont le Cameroun, où les évêques y multiplient des actions diverses pour l’extirper des mentalités et restaurer dans les consciences le sens de la justice et de la responsabilité.

2 - Action pastorale des évêques dans la lutte contre la corruption.

En tant qu’éminents agents moraux et religieux de la société, les évêques du Cameroun ont mené communément ou individuellement des actions pastorales contre la corruption sous trois axes principaux.

a)- L’enseignement.

Il s’agit ici d’un ensemble de publications (lettres) et de discours (homélies, catéchèses) visant à éveiller et à formuler les consciences au sujet de la corruption. Les cas les plus significatifs ici étant les lettres adressées aux chrétiens et à tous les hommes de bonne volonté sur la corruption. En effet, à plusieurs reprises dans l’histoire de notre pays, notre Eglise s’est exprimée au sujet de la corruption. C’est ainsi qu’en 1977, les évêques de l’actuelle province ecclésiastique de Bamenda avaient écrit une lettre pastorale conjointe sur la corruption, voulant ainsi attirer l’attention de tous sur un phénomène qui commençait à prendre de l’ampleur et qui portait déjà atteinte à plusieurs secteurs de la vie publique. Trois ans plus tard, en 1980, c’était au tour des évêques de l’actuelle province Ecclésiastique de Garoua de faire de même. En 1990, l’épiscopat du Cameroun, en examinant la crise économique qui sévissait dans les pays, avait signalé que la corruption et le vol généralisé des deniers publics dans l’impunité étaient parmi les principales causes de la crise. « […] En cette année du grand jubilé de l’an 2000, au terme d’une réflexion menée depuis plusieurs années, nous évêques du Cameroun, voulons vous adresser cette lettre sur la corruption »[15]. Toutes ces communications font un exposé succinct et détaillé sur le phénomène de corruption (manifestations, causes et conséquences sur le plan social, économique, politique et spirituel), une remise en cause de tous et de chacun dans l’avènement, le maintien et l’éradication de ce fléau. Une suite de moyens pour y remédier de façon notable et une exhortation ne pas céder au fatalisme. Il est aussi noter que toute cette démarche s’opère sous l’éclairage des Saintes Ecritures. Pour appuyer concrètement cet enseignement magistral, l’Eglise a mis sur pied un certain nombre d’organismes dans la promotion de la justice sociale, la démocratie, la bonne gouvernance bref dans le développement harmonieux des hommes et femmes où elle se trouve. Ainsi en est-il de la commission « justice et paix ».

b)- Les commissions « justice et paix ».

La commission pontificale « justice et paix » mise sur pied par le pape Paul VI est un organisme central de l’Eglise chargé de « susciter dans tout le peuple de Dieu la pleine connaissance que les temps actuels réclament de lui de façon à promouvoir le progrès des peuples plus pauvres, à favoriser la justice sociale entre les Nations, à offrir à celles qui sont moins développées une aide telle qu’elle puissent pourvoir elles-mêmes à leur progrès. »[16] Cette commission constituée au niveau des diocèses et des paroisses est le moyen par excellence de mise en œuvre de la doctrine sociale de l’Eglise, à travers l’observation, l’analyse, l’information et la formation des fidèles et des citoyens sur les questions majeurs du pays. Aussi, s’active-t-elle dans la tenue des séminaires, des colloques, des conférences, des débats publics d’une part et d’autre part, dans de nombreuses démarches auprès des différents agents sociaux interpeller en vue de promouvoir, encourager et renforcer la prise de conscience de tous et la nécessité de la justice sociale dans tous les domaines de la vie politique, sociale économique et culturelle.
En 1977 par exemple, lorsque la corruption commençait à s’établir au grand jour, l’abbé Christian TUMI conduisant alors le groupe dénommé « Christian Study Group », tient une conférence publique à Bamenda pour faire une lecture sociopolitique à la lumière de la lettre conjointe des évêques de Bamenda et de Buéa[17].

c)- L’action cultuelle des pasteurs contre la corruption.

L’action cultuelle constitue un autre moment fort significatif dans la croisade pastorale contre la corruption au Cameroun. En effet, ministres de culte, les pasteurs implorent le secours divin à la faveur de certaines circonstances liturgiques éminentes, invitent les fidèles à la prière et à la conversion. Tel est le cas en l’an 2000 à l’occasion du grand jubilé : « En cette année jubilaire, nous invitons le peuple de Dieu qui est au Cameroun à implorer son créateur dans la lutte contre cette gangrène qu’est la corruption. […..] Chacun de nous doit demander à Dieu pardon du fond de son cœur […..] spécialement pour les fautes contre l’honnêteté et la justice. […..] Cette supplication doit être sincère, absolu, avec ferme résolution de ne plus recommencer, avec la grâce de Dieu »[18]. Néanmoins, cette prière qui a été composée par les évêques ne les empêche pas de dénoncer ce fléau. Ainsi le cardinal Christian TUMI affirme que « nous ne pouvons toujours prier, ce qui ne nous empêche pas de dénoncer cet état de fait ancré dans notre culture et dans les mentalités »[19].
Au terme de cette partie consistant à montrer le rôle du pasteur dans la lutte contre la corruption, il apparaît que le pasteur de part ses fonctions (enseigner, gouverner et sanctifier) est l’un des principaux promoteurs du développement humain. Cependant, il reste le pasteur dans sa mission est confronté à divers problèmes qui se constituent comme des limites. Quelles sont ces limites ? Quelles solutions pouvons-nous préconiser pour y remédier.

3- Limites de l’action pastorale.

a)- Limites.

Les insuffisances de l’action pastorale au Cameroun sont marquées à deux niveaux :
D’une part, il est regrettable de constater que dans les paroisses, il règne un climat de clientélisme quant aux services offerts par l’Eglise à ses fidèles. En effet, certains prêtres n’hésitent pas à fermer la porte au nez à celui qui leur propose moins en faveur de celui qui leur propose davantage pour un service équivalent (messe à domicile, messe d’enterrement, exorcisme…) alors que tous sont égaux devant Dieu et que l’Eglise promeut la justice et la protection des « petits ».
Plus encore, certains prêtres ne brillent pas par leur gestion des affaires ecclésiales (détournement des fonds dans les structures scolaires, de développement, des paroisses…)
D’autre part, certains comportements jadis tabous, suite à la dénonciation, acquièrent la légitimité. C’est ainsi que, au bord des routes, il est devenu normal pour un agent de la sécurité publique de raquêter les usagers.
Dans une autre mesure, la persécution de certains pasteurs considérés à tort ou à raison par certains leaders politiques comme subversifs à cause des dénonciations faites et de leur zèle entravent leurs actions
b)- Propositions

Pour donner des chances de succès à leur action de lutte contre la corruption, les pasteurs de l’Eglise doivent s’appliquer à vivre eux-mêmes les enseignements qu’ils prodiguent aux fidèles et à tous ceux à qui ils s’adressent.
En évaluant de façon systématique et objectives les tâches pastorales confiées à ses agents, et en les sanctionnant sans complaisance, l’Eglise (ici la hiérarchie) gagnerait en crédibilité et son message passerait sans nul doute plus facilement dans des cœurs et plus encore dans les comportements sociaux des hommes car, « le monde d’aujourd’hui écoute plus les témoins que les maîtres. »
Il apparaît au terme de ce bref parcours de l’action pastorale au Cameroun, pour l’avènement d’une société juste, paisible et prospère, qu’elle porte sur trois axes principaux : l’enseignement au moyen des lettres, des homélies et autres communications ponctuelles sur le sujet ; l’instauration des commissions « justice et paix » dans l’ensemble des diocèses et des paroisses du pays ; l’activité liturgique au cours de laquelle le peuple de Dieu implore l’aide divine, le jubilé de l’an 2000 en fut une grande occasion.
Cependant cette action connaît quelques limites dues particulièrement au contre témoignage évangélique de certains agents pastoraux qui mériteraient d’être eux aussi convertis pour une meilleure perception du message.

CONCLUSION.


Au terme de notre étude sur le pasteur et la lutte contre la corruption au Cameroun, thème au cours duquel il s’agissait de montrer l’action pastorale pour éradiquer la corruption dans les comportements et les mentalités des camerounais en vue d’un développement harmonieux et de l’établissement d’une société juste et paisible, il apparaît dans un premier temps que la corruption est « le fait de donner quelque chose à quelqu’un pour qu’il aille contre un principe ».
Dans un deuxième temps, il apparaît au terme du parcours de l’action pastorale de lutte contre la corruption au Cameroun, pour l’avènement d’une société juste, paisible et prospère, qu’elle porte sur trois axes principaux : l’enseignement au moyen des lettres, des homélies et autres communications ponctuelles sur le sujet ; la mise sur pied des commissions « justice et paix » dans l’ensemble des diocèses et des paroisses du pays ; l’activité liturgique au cours de laquelle le peuple de Dieu implore l’aide divine, le jubilé de l’an 2000 en fut une grande occasion. Cependant cette action connaît quelques limites dues particulièrement au contre témoignage évangélique de certains agents pastoraux qui mériteraient d’être eux aussi convertis pour une meilleure perception du message.



BIBLIOGRAPHIE.


OUVRAGES

v Paul VI, populorum progressio, Centurion, Paris, 1967, 125p.
v Christian WIYGHANSAÏ SHAAGHAN Cardinal TUMI, les deux régimes politiques d’AHmadou AHIDJO, Paul BIYA et Christian TUMI, prêtre (éclairage), Macacos, Douala, 2006, 184p.


DOCUMENTS ET REVUES

Ø Catéchisme de l’Eglise Catholique, Centurion/ Cerf/ Fleurus-Mame, 1997, 975 p.
Ø Les seize documents conciliaires de Vatican II, sous la direction du R.P Paul Aimé Martin, Fides, Canada, 2004, 715 p.
Ø Lettre pastorale des évêques du Cameroun aux chrétiens et à tous les hommes de bonne volonté sur la corruption, C E N C, Bamenda, Septembre 2000.
Ø L’effort camerounais, n°416 (1380) du 17 au 30 octobre 2007.
Ø Peuples du Monde, n°389 du mois d’Avril 2005.
Table des matières.

INTRODUCTION- 01
I - APPROCHE DEFINITIONNELLE- 2
1 - Le pasteur. 2
2 - La corruption. 2
3 - L’Eglise. 2
4 - La crise. 3
5 - Les mœurs. 3
II-PRESENTATION DU CAMEROUN. 4
1 - Présentation géopolitique. 4
2 - Présentation religieuse et sociale. 4
III-LA CORRUPTION. 6
1 - Manifestations de la corruption. 6
2 - Les conséquences de la corruption. 7
IV-ACTION PASTORALE CONTRE LA CORRUPTION. 9
1 - Justification de la mission du pasteur. 9
a)- Nature et raison d’être de l’Eglise. 10
b)- Exigences de la mission. 10
2 - Action pastorale des évêques dans la lutte contre la corruption. 11
a)- L’enseignement. 11
b)- Les commissions « justice et paix ». 12
c)- L’action culturelle des pasteurs contre la corruption. 13
3- Limites de l’action pastorale. 13
a)- Limites. 13
b)- Propositions. 14
CONLUSION. -------------------------------------------------------------------------------------------15
BIBLIOGRAPHIE. 16
Table des matières. 17



[1] Cardinal Christian TUMI cité par le journal « L’effort Camerounais » n°416(1380), du 17 au 30 octobre 2007.
[2] Catéchisme de l’Eglise catholique n°2409, Centurion/ Cerf/ Fleurus-Mame, 1997.
[3] L’Eglise, Encyclopédie Encarta version [DVD], Microsoft corporation, 2005.
[4] Le Larousse de poche édition mise à jour, 2002.
[5] Peuples du Monde « Cameroun : foi et ferveur joyeuses » n°389 du mois d’Avril 2005, pp 16-17.
[6] Ibidem.
[7] Ibidem.
[8] Peuples du Monde « Cameroun : foi et ferveur joyeuses », n°389 du mois d’Avril 2005, pp16-17.
[9] Ibidem.
[10] M Paul BIYA président de la république du Cameroun cité par L’effort camerounais, n°416 du 17 au 30 Octobre 2007, p 11.
[11] Peuple du Monde « Cameroun : foi et ferveur joyeuse » n°389 du mois d’Avril 2005 pp 16-17.
[12] Constitution dogmatique sur l’Eglise « Lumen Gentium », n° 8 in Les seize documents conciliaires de Vatican II sous la direction du R.P Paul Aimé Martin, Fides, Canada, 2004, pp.30-31.
[13] L’Eglise dans le monde de ce temps « Gaudium et Spes», n°2, Vatican II, les documents conciliaires, p.190.
[14] Paul VI, Populorum Progressio, n°13, Centurion, Paris, 1967, p.67.
[15] Lettre pastorale des évêques du Cameroun aux chrétiens et à tous les hommes de bonne volonté sur la corruption, n°1, C E N C, Bamenda, Septembre 2000, p.2.
[16] Paul VI dans l’encyclique Populorum Progressio, n°5, Centurion, Paris, 1967, p 57.
[17] Cardinal Christian TUMI, les deux régimes politiques d’Ahmadou AHIDJO, de Paul BIYA et Christian TUMI, prêtre (éclairage), Macacos, Douala, 2006, pp 25-27.
[18] Lettre pastorale des évêques du Cameroun sur la corruption, C E N C, 2000, pp 27-28.
[19] Peuples du Monde, n°389, Avril 2005, p 34.

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