samedi 10 mai 2008

LECTURE HISTORIQUE DE LA PENSEE ARTISTIQUE


INSTITUT DE PHILOSOPHIE SAINT - JOSEPH - MUKASA
Affilié à l’Université Pontificale Salésienne – Rome
B.P. : 185 Yaoundé (Cameroun)





Travail présenté dans le cadre du séminaire sur
L’art dans la philosophie post-moderne


Lecture historique de la pensée artistique
Vision éclairée par
Camille SCHUWER,
les deux sens de l’art




Présenté par

Alain Claude MANI BIHINA



Sous la direction de
M. Charles Jean-Marie MINYEM, D.E.A. Ph.



Premier Semestre 2007-2008.
Plan

Introduction

Chapitre I : Evolution historique de l’art fonctionnel
A L’art primitif
1 Origine de l’art primitif et statut de l’artiste
2 Les fonctions de l’art primitif

B L’art dans l’Antiquité
1 L’art chinois
2 L’art grec

C L’art dans le Moyen âge : le rayonnement de l’Art chrétien
1 Son originalité
2 Sa finalité

Chapitre II : Une approche critique
A Les limites du texte
1 L’aspect chronologique
2 L’art égyptien

B Redécouverte de l’autre dimension de l’Art
1 La naissance de l’esthétique comme science
2 La beauté artistique

Chapitre III : La dimension unitaire de l’Art pour le développement de l’Art africain
A Brève historique de l’art africain
1 L’art avant le contact avec l’Occident
2 L’influence de l’Occident

B Etude panoramique du savoir faire camerounais
1 Développement de l’art Camerounais
2 Quelques propositions

Conclusion

Introduction

Au moment où la période contemporaine est marquée par l’invasion d’œuvres d’art de toute sorte, (masques, produits de la sculpture ; maisons, produits de l’architecture ; musique, littérature et danse ; produits des arts rythmiques; tableaux, produits des arts plastiques et costumes, produits de la mode etc.) ; et de toute provenance ;(Afrique, Europe, Asie, Amérique etc.), phénomène favorisé par le développement des moyens de communication et surtout l’appétit avec lequel le contemporain, africain comme européen, asiatique comme américain, citadin comme rural, consomme au quotidien ces œuvres d’art de façon consciente ou inconsciente, il est urgent que l’on se penche un temps soit peu sur ce concept. Entreprise pas du tout aisée car l’investigation sémantique même du mot « art » atteste d’emblée sa complexité, son ambiguïté voire son ambivalence. Toutefois, à partir de l’étymologie latine « ars », équivalent grec de « Tek né », l’art « désigne toutes activités qui résultent d’une aptitude non innée, mais acquise par apprentissage approprié en vue d’une science, d’une technique, d’un métier »[1]. Aussi l’art, est une composante culturelle d’un peuple à une période bien déterminée, et revêt de multiples divisions : division géographique, division en arts rythmiques et plastiques, division selon la matière et la technique, division selon les grands genres, division chronologique et bien d’autres. Dans le cadre de notre travail, nous suivrons particulièrement la division chronologique entremêlée bien sûr des précédentes.
Pour ce faire, Camille Schuwer nous propose de réfléchir sur les Deux sens de l’art[2] particulièrement dans les chapitres 1, 2, 3 ; où il traite de l’art au service du peuple. Après donc une présentation non moins exhaustive de l’évolution historique de l’art fonctionnel, nous nous attèlerons en second lieu à montrer si possible les limites de cette conception de « l’art de service » c’est-à-dire, l’autre dimension de l’art (le Beau) ; puis enfin, nous essayerons de montrer l’influence des deux sens de l’art dans le développement de l’art camerounais.



Chapitre I : Evolution historique de l’art fonctionnel

Avant tout discours sur l’art, il nous semble convenable de partir d’un postulat qui nous permettra de comprendre véritablement le sens ou les sens successifs qu’on attribua à l’art dans son parcours historique. Car pour Camille Schuwer, « qui veut réellement s’instruire sur le sens de l’art doit d’abord se défier de son application partielle et dérivée : les beaux arts »[3]. Et surtout que l’imaginaire contemporain, influencé par les conceptions modernes sur le Beau tend à ne considérer que l’esthétique dans l’œuvre d’art méprisant par conséquent son aspect fonctionnel. C’est justement le double problème crucial de l’art tout au long de son parcours historique. Dès lors on constate qu’il y a deux tendances communes selon la technique ou le moyen de production et dont les fins constituent la différence. Dans l’une, « la règle finale est l’usage », tandis que dans l’autre, il s’agit « d’une certaine satisfaction pure gratuite et contemplative suffisante à justifier la production de l’objet »[4]. C’est pourquoi, pour ne pas donner un jugement hâtif qui serait certainement faux parce qu’incomplet et subjectif, il conviendrait de remonter à l’origine même de l’art du moins ce que l’histoire peut nous en indiquer, et de suivre son évolution.

A L’art primitif
1 L’origine de l’art primitif et statut de l’artiste

Même s’il est difficile de dater avec précision les œuvres d’art de cette période (pierre, cuillères, flèches…), il faut tout aussi reconnaître qu’elles témoignent d’une intense activité artistique. Schuwer préconise alors d’éviter l’erreur des sociologues et des esthéticiens qui soutiennent que l’art existait d’abord et que ce n’est qu’après qu’on lui a arbitrairement ajouté la fonction sociale. Selon lui, c’est une grosse méprise car
« la juste observation des faits et l’interprétation prudente qui se borne à traduire [les faits sociaux] selon les normes de la pensée primitive démontrent que les diverses productions humaines ne se présentent d’abord ni sous une forme, ni dans un ordre, ni avec un sens qui permettraient dans tout les cas de distinguer avec précision ce qui est le fait de l’usage et ce qui appartient à l’art, la part de l’artisan et celle de l’artiste, de l’utile et de ce qu’on a appelé le luxe, du profane et du sacré »[5].
Aussi, la production artistique est soumise aux normes et aux us de la société, car l’œuvre d’art n’est pas expression de l’artiste pris en particulier, mais expression de toute la collectivité. L’artiste est désormais appelé à mettre son génie créateur au profit de toute la société et toute production personnelle est suspecte et condamnée. L’artiste se voit alors investit d’un pouvoir magico religieux. C’est pourquoi, la production artistique dépend des périodes fastes ou néfastes de la société. Ainsi, donc, il y’aura une danse particulière lors des moissons, de la chasse et une autre lors des rites mortuaires ou de passage. On se contente de reprendre les modèles existants car, « Pour l’essentiel tout est soumis à la tradition, aux modèles préexistants. Formes, couleurs, agencements et matières se perpétuent presque sans changement, […] »[6], sans toutefois se préoccuper de produire le beau mais le produisant quand même. L’activité artistique dans cette période est donc très délicate et réservée compte tenu des critères et interdits qui la sous-tendent d’où l’exclusion des femmes et des enfants. Le don, le talent individuel, et l’apprentissage ne suffisent plus, il faut qu’à cela s’ajoute la mission du peuple.

2 Les fonctions de l’art primitif

L’art primitif est avant tout un art populaire, c’est-à-dire qui n’est pas réservé à une catégorie de personnes sauf pour la production. Aussi les peintures et rupestres traduisent le plus souvent certains états de la société, de même que la danse et les chants rapportent les réalités quotidiennes, jouant ainsi le rôle de communicateur. On assiste aussi à la production des objets voués à l’utilisation tels que des couteaux, des lances et des flèches, produits que la raison actuelle classe comme issus du travail de l’artisan. Les peintures sur le corps et les scarifications témoignent de l’appartenance tribale souvent très essentielle lors des guerres, c’est la fonction politique.
De ce qui précède, on peut remarquer que l’art primitif était un art réaliste. Un art qui a pour objet de subvenir aux besoins de la société et non exprimer des sentiments. Force est alors de reconnaître que même si produire des œuvres de beauté n’étaient pas le souci premier des artistes primitifs, cela n’enlève en rien le caractère esthétique que celles-ci pouvaient posséder en soi. Ceci remet donc en cause la conception qui soutient qu’il n’y a pas eu d’art dans les sociétés dites primitives, et démontre qu’il y’a bien eu activité artistique dans laquelle existait une mentalité esthétique fût-elle naïve. Car, dans sa fonction religieuse :
« La vérité est qu’il n’est nullement nécessaire que l’art soit reconnu et poursuivi comme tel pour qu’il existe et remplisse sa fonction. Si l’utile, au sens large, désigne toutes les formes et normes d’activité qui satisfont à la subjectivité foncière du groupe et à tout ses besoins, qu’ils soient ou non objectivement et rationnellement fondés, l’art apparaît comme le prolongement naturel, bien que non distinct, de la sorte d’efficacité postulée par l’habitude, les mœurs, les croyances. Ne faisant qu’un avec le mode de fabrication des choses et le mode d’organisation des actes, il leur ajoute, spontanément et comme d’instinct tout ce qui, formes, couleurs, mouvements et rythmes, intensifie et qualifie de surcroît la charge émotionnelle des représentations. C’est par sa médiation, incomparable à toute autre, que s’établit la fusion des esprits et leur identification à l’objet de croyance »[7].

Enfin de compte, il faut reconnaître que malgré le refus systématique du contemporain de voir de l’art ou même de l’esthétique chez les primitifs, récusant de comparer quelques chefs d’œuvres de cette période avec la sienne, la civilisation primitive fait preuve d’une unité obtenue sans efforts. Cette unité que le contemporain lui-même retrouve dans l’homme ; car les multiples disciplines de la connaissance, métaphysique, science, économie, art, morale et religion même distinctes convergent toutes ensemble vers un seul point : l’homme. C’est pourquoi, si, « l’art, chose du dehors en tant qu’il est matière et production externes, il ne constitue pas un monde à part, et ne saurait être séparé des mœurs, des actes de la vie, des croyances »[8].

B L’art dans l’antiquité

Sans toutefois négliger les autres grandes civilisations antiques (hindoue, égyptienne, assyrienne…), nous nous attarderons particulièrement sur la Chine et la Grèce antiques. Malgré le progrès de la pensée, la différenciation des valeurs, ces grandes civilisations restèrent fidèles à cette pragmatique de l’art. Les fonctions religieuse, profane utilitaires de l’art se souciant toujours de répondre aux besoins naturels des collectivités. Même les changements de croyance en religion n’ont rien altéré à cette fonction de l’art, car on « n’a jamais cessé d’en faire usage, dans ses monuments comme dans ses cérémonies »[9].



1 L’art chinois

Dès la plus haute antiquité (soit depuis trois millénaires), la chine présente un raffinement extrême dans l’expression des divers arts (la peinture, la porcelaine, la soie, la laque, la poésie). Seul l’architecture est en reste, car le bâtiment le plus ancien en Chine relève de l’an 530 après Jésus-christ. L’écriture est particulièrement mise en exergue ici. C’est pourquoi, « durant 800 ans l’écriture ne fut utilisée que pour des choses sacrées »[10]. Car « pour le chinois cette culture n’est pas un avoir ni un faire, mais un être »[11]. Et pour Schuwer, c’est « Peut-être parce que la hiérarchie minutieuse des pouvoirs, la règle morale, le sentiment et l’amour de la nature l’emportaient sur la religion proprement dite »[12]. C’est reconnaître par la-même l’importante place que l’art occupe au sein de cette société. A la morale, la religion et l’esthétique, s’ajoute alors le pouvoir social de l’art.

2 L’art grec

Pour Camille Schuwer, les conditions sociales favorables pour « une éclosion de la conscience esthétique » (religion polythéiste d’inspiration anthropomorphique, théogonies, mythes et légendes) n’ont eu d’analogues dans l’antiquité que dans la Grèce. D’où cette affirmation « un peuple naturellement artiste »[13]. Depuis Socrate, l’art grec fut influencé de fond en comble par la philosophie avec l’engendrement d’une théorie de la connaissance, une morale, une politique et enfin une esthétique. C’est pourquoi,
« Aux considérations sur les applications pratiques, la fonction morale et éducative de l’art, à l’exposé des techniques et des règles qui président au drame, à la poésie, la musique, la rhétorique et l’éloquence s’ajoute, pour la première fois, la théorie de la beauté, métaphysique et idéaliste chez Platon, d’inspiration expérimentale et psychologique dans les traités d’Aristote »[14].


A la fonction sociale et religieuse de l’art s’ajoute alors un intense amour du beau. Dès lors, on constate aisément que l’aspect fonctionnel et l’idée du beau sont intrinsèquement réunis dans l’art, et que l’esthétique n’est pas seulement du domaine du moderne ou du contemporain. Aussi,
« il est clair que l’art grec, d’abord attaché à ses fondations primitives, à ses croyances populaires, à son sens du destin et d’un certain tragique de l’existence, s’est dégagé de plus en plus vers la connaissance et la contemplation. En définitive, ce n’est pas le service social ou religieux qui l’emporte, mais la jouissance désintéressée du beau comme une sorte de délivrance, surtout intellectuelle, par l’objet »[15].

Ainsi donc, pour Camille Schuwer, lorsque plus tard au moment de la Renaissance, « l’art réclamera son asservissement des servitudes médiévales, c’est à la Grèce et à ses prolongements romains qu’il demandera ses lettres de créance »[16].

C L’art dans le Moyen âge : le rayonnement de l’art chrétien
1 Son originalité

La période médiévale marque l’avènement d’un monothéisme jadis affirmé par Socrate, Platon et bien d’autres penseurs de la Grèce antique. La bible et la tradition de l’Eglise fournissant autant de sujet à la poésie, à la musique, à l’architecture et à la peinture pour l’expression d’un art religieux. Toutefois, « le premier art chrétien nous est connu essentiellement à travers l’art funéraire et la naissance d’édifice de culte chrétien. Les catacombes sont des cimetières souterrains christianisés par les enterrements des chrétiens [et] leurs décors, peintures, mosaïques et sarcophages, témoignent du passage d’un art non chrétien à un art chrétien »[17]. Après l’édit de Constantin en 313[18], l’art chrétien sort des catacombes pour s’imposer à toute la société, opérant ainsi un démarcage visible et strict entre le profane et le sacré. Le christianisme va de ce fait « transformer l’art en l’orientant vers le divin, un divin qui n’est plus celui de l’olympe, un divin qui ne se laisse pas voir aux yeux des hommes et que l’on ne peut exprimer que par des symboles »[19]. Aussi, l’art s’efforce d’abord de mettre en exergue la vie terrestre de Jésus Christ et tout le corollaire mystérieux qu’il y a autour de celle-ci, et va ensuite s’étendre vers le culte de la vierge Marie, la commémoration des saints et des martyrs. D’où toute la panoplie d’icônes, d’images, de statues du Christ, de la vierge Marie et des saints.
En architecture, c’est d’abord l’intérieur qu’il faut embellir car c’est le lieu du culte, sans toutefois négliger l’aspect extérieur d’où les bâtisses à côtés des églises et des basiliques. Il convient de noter ici que l’origine de la basilique chrétienne est discutée. D’une part, elle provient de la transformation des basiliques judiciaires, d’autre part ce n’est qu’une adaptation ou imitation des salles de réception des palais. Toutefois, la disposition en croix des structures ambon, chaire, chœur, abside, sièges des fidèles n’est pas le fruit d’un hasard, elle a un but. Les styles divergent ici selon les sensibilités des architectes ; on part succinctement du Roman au Gothique.

2 Sa finalité

Si la finalité de l’art chinois et grec était la règle morale, la finalité de l’art chrétien est de ramener le fidèle vers le transcendant. C’est pourquoi, la Messe ou plutôt l’acte du culte, « réglé avec minutie et où il n’est rien qui ne comporte un sens, paroles et texte, musique, déplacements et gestes de l’officiant et des servants (équivalent mystique de la danse) »[20], n’est pas un théâtre ni un spectacle, il exige la participation active des fidèles. L’art et les actes de foi sont donc intimement liés qu’on ne saurait les diviser. Et toute production artistique elle-même est soumise à la censure de l’église ; aussi, l’artiste lui-même ne peut être qu’un bon chrétien. Il faut cependant éviter de se laisser séduire par la beauté du chant que par ce qui est exprimé. Dans cette optique, St Augustin remarque pertinemment : « toutefois, lorsqu’il arrive que le chant me touche d’avantage que ce que l’on chante, je confesse avoir commis un péché qui mérite châtiment et j’aimerais alors beaucoup mieux n’avoir pas entendu chanter »[21] réaffirmant ainsi le rôle de médiation de l’art.
Dès lors, force est de constater que dans multiples sociétés et malgré les changements de périodes, de lieux ou de religion, l’art demeure un outil du peuple et revêt une grande et importante fonction. Aussi, Luc Ferry affirme de façon laconique : « voici ce que fut sans doute, depuis toujours la vocation de l’art : mettre en scène – on pourrait dire encore « présenter », « exposer », « incarner » - dans un matériau sensible (couleur, son, pierre…) une vérité tenue pour supérieure »[22]. D’où vient-il alors que depuis le siècle de lumières on parle de « l’art pour l’art », réclamant avec force et vigueur son indépendance ?

Chapitre II : Une approche critique

Malgré la pertinence de l’entreprise Schuwer de reconstituer une idée d’esthétique dans l’art primitif, dans l’antiquité et au moyen âge, tout en démontrant ses fonctions successives, il faut aussi reconnaître et relever quelques limites dans cette pensée si engagée. D’abord au niveau du texte lui-même et cette chronologie inadéquate, puis comment parler d’une histoire de l’art en négligeant la civilisation égyptienne ?

A Les Limites du texte
1 L’aspect chronologique


Il est quand même surprenant de constater que dans son souci de reconstituer une idée d’esthétique dès les origines de l’art, au mieux de l’homme, Schuwer ait négligé le fait préhistorique. Alors même qu’on sait que l’art ou plutôt l’œuvre d’art « ne procède pas d’une volonté de dire, mais d’une volonté de faire »[23] et que l’homme tout au long de sa vie ne se réalise qu’en faisant. Comment donc oublier ce rappel d’Engelbert Mveng, que « c’est en Afrique que commence la grande aventure humaine sur la terre. Cela se passait il y a près de deux millions d’années. Dans la région des Grands Lacs, en Afrique Centrale, et dans la vallée de l’Omo, en Ethiopie, se rencontre des spécimens des êtres auxquels se rattachent, directement, les ancêtres de la race humaine »[24]. C’est donc le véritable début de la civilisation en tant qu’œuvre humaine. Car on y trouve déjà les âges de la pierre (pierre éclatée, pierre taillée, pierre polie…). Aussi, pour Engelbert Mveng, « en transformant de simples cailloux en outils, puis en objets d’art, [nos premiers parents] ont voulu faire de cette histoire, une histoire de la "civilisation" »[25].
En outre, selon Louise Bastin, jusqu’aux « périodes préhistoriques du paléolithique inférieur (âge de la pierre éclatée, entre -600.000 et -160.000) et du paléolithique moyen (jusqu’en -40.000) on ne recense aucune œuvre d’art »[26]. Pour elle, ce n’est que plus tard c’est-à-dire à partir du paléolithique supérieur (pierre taillée), qu’on voit apparaître vers -35.000 une forme d’art ornemental non figuratif consistant en incisions de traits parallèles pratiquées au silex sur les os et des dents d’animaux. Mais ce n’est que tardivement qu’on aura un « art plus achevé, les sculptures de venus dites stéatopyges (vers -20.000) et des peintures et rupestre d’animaux à Lascaux (vers-15.000) ou à Altamira (vers-13.000) »[27]. Les figurines préhittites en Asie mineure et les peintures du Tassili en Afrique (Sahara occidental), les mégalithes en Europe occidentale (entre -6.000 et -1.000) témoignent par elles-mêmes d’une mentalité artistique dans la civilisation préhistorique, et ne demandent qu’à être reconnues comme telles.
On constate aussi avec amertume en parcourant de long en large cet ouvrage que l’auteur a omis de parler de l’art africain. Qu’en est-il alors selon lui ? Est-ce un simple oubli ou bien cela veut tout simplement dire qu’il ne voit pas d’art dans cette Afrique traditionnelle ? La date de publication du livre (1962) témoigne en faveur de cette dernière hypothèse, car c’est la période des indépendances en Afrique, fait historique qui marqua le monde entier et nul esprit avisé ne saurait le nier. D'ailleurs de nombreux ethnologues et sociologues sont d’accord que bien avant la colonisation, pendant celle-ci et après l’africain exerçait une activité artistique qui mérite d’être reconnue comme telle.
Par ailleurs, les descriptions que Schuwer fait sur l’art primitif sont elles-mêmes, les caractéristiques de l’art d’Afrique noire. Et cet art d’Afrique malgré sa diversité et sa méconnaissance de la part des uns et des autres a lui-même une histoire[28], et existe depuis des siècles indépendamment des grandes théories et discours philosophiques.

2 L’art égyptien

S’il est dans l’antiquité une civilisation aussi complète et triomphante c’est sans doute la civilisation égyptienne. Avec l’Egypte s’effectue le passage significatif de la peinture et de la sculpture pratiquées par les peuples préhistoriques, à l’architecture. L’architecture est le symbole le plus représentatif de l’art égyptien. Car elle associe à la fois la peinture et la sculpture présentant ainsi les demeures des hommes et les palais des rois. On passe successivement d’une architecture de bois, à celle des roseaux, de pisé et de brique pour aboutir à une architecture de pierre[29], forme la plus complète.
Aussi l’architecture religieuse occupe une place importante, c’est même le monopole de l’art égyptien. Ceci compte tenu du caractère mystique de la fonction pharaonique. Car
« le Pharaon lui-même étant dieu, "la statue vivante d’Amon" (Toutankhamon), […], c’est en fonction de ses rapports avec la divinité que sont conçus les monuments religieux, rapports donc dépend l’état du pays et la bonne marche du monde. Le roi est ainsi chargé "d’assurer à l’Egypte la prospérité et le maintien de l’ordre cosmique. Il y parvient par une bonne administration et par le culte célébré dans les temples »[30].

Dès lors on aura une pléiade de temples, de tombeaux, de chapelles et de pyramides. On note aussi un souci de produire du beau mais pas seulement pour son goût mais aussi pour une mission précise. Car la beauté n’est qu’un moyen, destiné à représenter le caractère divin de l’édifice[31].
Les Pyramides, « montagnes sacrées, tombes sacrées des pharaons, […], situées entre ciel et terre et dont le sommet capte les forces célestes »[32], symbolisent la quête, l’aspiration vers le transcendant et la recherche d’éternité. Aussi pour Marie-Dominique Philippe, « la pyramide à degrés est un escalier pour le ciel, elle doit permettre au roi d’atteindre sa destinée glorieuse : l’union avec le soleil qui fera de lui un roi pour l’éternité »[33]. Dès lors on comprend aisément la célébrité des architectes égyptiens qui par leurs œuvres sont aussi vénérés comme des dieux.
De ce fait, l’art égyptien, l’architecture, la sculpture et la peinture sont essentiellement tournées vers le religieux, le transcendant. C’est pourquoi Marie-Dominique Philippe déclare expressément :
« L’art égyptien cherche l’éternel et non le périssable ; c’est pourquoi, ne cherchant pas l’organique (tout ce qui est vivant est passager et périssable), il impose à la figure humaine la forme pure. Fort peu soucieux d’imiter la nature, il veut représenter l’essence des choses, ce qui, derrière les apparences, ne change pas. En ce sens, il est à l’opposé de l’art occidental qui, depuis la baroque et l’impressionnisme, est un art du temps et du devenir, un art pour qui le réel est ce que les sens peuvent saisir »[34].

B Redécouverte de l’autre dimension de l’art : le Beau

La période moderne, marquée par l’éclosion de la pensée, elle-même influencée par la Réforme de Luther et de Calvin est indéniablement le temps de tous les bouleversements tant dans la pensée que dans le faire et le dire. Période pendant laquelle l’art ou au mieux les théoriciens de l’art réclameront son indépendance vis-à-vis de la morale, de la religion, de l’éducation. Soutenant que l’art ne saurait être l’outil d’une société, mais quelque chose qui procurerait à l’homme un sentiment de satisfaction provenant de la jouissance du beau qui est sa caractéristique. Dès lors c’est l’expansion du slogan « l’art pour l’art » introduit en 1818 par Victor Cousin[35], si cher tant aux philosophes de l’art qu’aux artistes eux-mêmes, farouchement combattu par l’Eglise et les traditionalistes.

1 La naissance de l’esthétique comme science

Du grec "aisthesis" (sensation), l’esthétique est « la science ayant pour objet le jugement d’appréciation en tant qu’il s’applique à la distinction du Beau et du Laid »[36]. Pourtant, bien que l’esthétique ne se soit constituée comme science qu’au XIIIVe siècle, on note au cours de l’histoire de l’humanité que l’homme cherchait sans cesse à comprendre la nature du beau. Le terme esthétique fut introduit en 1750 par le philosophe allemand Alexander Gottlieb Baumgarten avec la publication de son ouvrage "Aesthetica", marquant ainsi la date de naissance terminologique de la science de l’art. Pour ce faire, il définit l’esthétique comme « la théorie de la faculté inférieure (sensibilité) qui doit faire pendant à la logique, théorie de la faculté supérieure de l’esprit humain (entendement) »[37]. Cependant, si Baumgarten est l’inventeur de l’esthétique moderne sur le plan terminologique, on lui contestera celle-ci sur le plan scientifique. Car pour de nombreux philosophes de l’art c’est plutôt Giambattista Vico qui en est le véritable fondateur de cette discipline au plan scientifique et qui eut le mérite de la sortir de sa préhistoire mais n’eut pas celui d’en inventer le nom[38].
L’esthétique se préoccupe alors «de savoir si le beau est objectivement présent dans les choses ou s’il est une qualité que l’esprit attribue aux objets ; aussi cherche-t-elle à définir les processus qui président à la perception des œuvres d’art, et s’interroge également sur la différence entre le beau et le sublime »[39]. D’où des règles et critères qu’il faut observer au cours de ce processus pour aboutir un jugement de goût ou jugement esthétique. Pourtant le jugement esthétique lui-même a toujours fait problème. Deux tendances opposées selon leurs arguments vont ainsi fonctionner cote à cote tout au cours de l’histoire. L’une soutenant que « le beau plait universellement sans concepts », thèse dogmatique ; et l’autre arguant que ce jugement est subjectif. Toutefois, il convient de noter qu’il faut faire attention à ces deux tendances, car
« La subjectivité finit par annuler le jugement de goût […] et mène le sujet vers la perdition, d’où l’appel à l’universalité de Kant [et encore plus que] le jugement ne constitue pas la beauté, il la reconnaît et la nomme quand il la rencontre [et surtout que] le beau est une qualité de l’objet » [40]. .C’est pourquoi, pour le « musée imaginaire, il y a du beau partout, mais tout n’est pas beau »[41].

On constate alors qu’il serait exagéré de dire qu’il y a des critères stricts dans le jugement esthétique. Car pour Kant, même si « "le beau est sans concept" c’est à dire impossible de définir ce qu’est le beau en soi et dont de donner des règles qui en garantissent la production, le jugement de goût étant toujours singulier, il ne dit pas que les roses sont belles, mais que cette rose est belle »[42]. Pour donc être capable de faire un jugement esthétique objectif, la culture esthétique s’impose alors comme une condition majeure.

2 La beauté artistique

Le mot « beau » ou si on veut « beauté » est très difficile à cerner d’autant plus que de nos jours, il très souvent galvaudé. Toutefois du latin « bellum », (joli, charmant, agréable), en philosophie, le beau est le « concept désignant ce qui éveille une émotion esthétique dépendante du goût, ce qui procure un plaisir admiratif et désintéressé »[43]. Seulement ce beau, est une qualité de l’objet en tant que produit émanant de la nature tout comme production humaine. Aussi on a l’habitude de dire «une belle colline, une belle chute, un beau paysage » tout comme « une belle peinture, une belle chanson, un beau boubou » sans pouvoir faire la distinction. Pourtant il y a bel et bien nuance et celle-ci est immense. Car si la nature (colline, chute, paysage) est belle il faut aussi noter que cette beauté n’est pas une œuvre humaine comme la peinture, la chanson, et le boubou. Aussi, même si la nature est belle ce n’est pas de l’art, car l’art au mieux l’œuvre d’art est fruit de l’activité de l’homme et c’est qui lui donne telle forme plutôt que l’autre, tout en choisissant le matériel qui est en sa disposition. Cependant, la nature peut être à une certaine mesure source d’inspiration artistique, et pour certain même l’œuvre d’art n’est qu’une imitation, une reproduction de la nature. Dans la même optique et allant plus loin, Paul Klee (1879-1940) affirme : « le dialogue avec la nature reste pour l’artiste condition sine qua non. L’artiste est homme, il est lui-même nature, morceau de la nature dans l’aire de la nature »[44]. Paradoxalement aussi, selon Kant, « l’art peut accomplir une chose dont la nature est incapable. Il peut réunir beauté et laideur dans un objet. Un tableau admirable d’un visage laid demeure un beau tableau »[45].
Par ailleurs, La beauté artistique a un caractère singulier. C’est celui de l’expressivité, qui recherche toujours la perfection. Pour ce faire, l’objet du beau est donc défini par sa puissance d’être et renvoie à une réalité supérieure. L’on hésite entre l’aspiration intérieure de l’artiste et la nécessité intérieure de la société. Aussi,
« On a pu voir, dans la beauté et dans l’art, l’expression d’un vœu métaphysique comme si, par son moyen et sous la forme d’un dépassement de la condition humaine, il permettait d’atteindre à une vérité plus profonde de l’univers, soit comme idéalité d’une essence, le principe suprême du beau ainsi que l’entendement Platon et Plotin, déjà réalisé dans la nature et dans l’art […] »[46].

Si le beau n’a pas de critère, il ne peut trouver son contraire dans le laid. Le laid s’oppose au beau comme le raté au réussi, comme le pathologique au normal[47]. Dans un monde industrialisé, où la production en série en appelle à l’intelligence et non à la sensibilité, il y a donc du moins beau, et c’est le sublime qui l’emporte par rapport au beau. Aussi on peut retenir que « plus puissant est l’être de [l’œuvre d’art], plus mystérieusement elle nous parle, et plus loin il nous emporte…vers quel dieu ? »[48]


Chapitre III : La dimension unitaire de l’art pour le développement de l’art africain
Il n’est plus à démontrer qu’une considération de la double dimension de l’art (art fonctionnel et beauté) est indispensable dans une étude de l’art. Car à la qualité du beau doit aussi s’accorder une utilité, un usage de la communauté, puisque l’artiste lui-même malgré son caractère sacré et énigmatique fait parie d’une société. Il lui revient alors d’apporter lui aussi son savoir faire pour le développement de celle-ci. Nous ne saurons donc parler de développement de l’art africain sans toutefois nous attarder sur son histoire.

A Brève historique de l’art africain

Ce bref parcours historique de l’art africain dans le temps nous permettra à coup sûr de comprendre l’art africain de nos jours.

1 L’art avant le contact avec l’Occident

L’art africain d’avant la colonisation, fut très souvent qualifié par la plupart des théoriciens de l’art comme art primitif, reconnaissant par la même occasion la présence d’une activité artistique en Afrique, malgré les divergences d’opinions. Les thèses d’Engelbert Mveng et de Théodore Mudiji Malamba confirment par ailleurs l’existence d’une pensée artistique en Afrique depuis des millénaires.
L’art y est essentiellement au service de la religion. Les artistes au service du peuples, s’activent à confectionner des fétiches, des figurations d’ancêtres, des représentations d’animaux, des masques ainsi que des objets de culte de toute sorte. On a les sanctuaires, les autels, les sonnettes, les tambours, les chasse-mouches, […] rendus plus beaux par des symboles de force[49]. On y recense plusieurs arts la peinture (art de magnifier la lumière), la musique (art d’émouvoir), la poésie (art de chanter), la danse (art d’exprimer l’élan vital), le théâtre (art d’explorer l’homme), l’architecture (l’art d’harmoniser l’habitat) et la sculpture (l’art de faire parler la matière)[50] c’est ce dernier qui est le plus en vu. Car, selon Engelbert Mveng, « le masque est certainement l’un des signes les plus puissants de l’art africain. Il récapitule l’art tout entier. Il est à la fois homme, animal et végétal. Il est fonction de l’homme jouant, luttant, transformant la nature »[51].
L’art nègre a alors un message particulier, « par ses structures fondamentales et par sa signification, il exprime l’homme et le monde dans leur effort d’unification en face de Dieu. En tant qu’anthropologie, cet art qui raconte la destinée humaine et la structure de l’homme [expression des réalités quotidiennes] dans ce qu’elles ont de radical, est un art universel »[52].
Du côté profane, l’intégration de l’art traditionnel nègre par les artistes peintres européens tels que Matisse, Braque, Picasso, Vlaminck fait preuve d’une reconnaissance progressive de cet art tant désavoué[53].

2 L’influence de l’occident

La première rencontre claire entre les peuples noirs et l’occident s’est effectuée par le biais du christianisme. Elle fut d’abord conflictuelle. Où on avait un profond mépris des œuvres traditionnelles, par ce que n’y connaissant rien et ne comprenant pas cette culture. Mais peu après une considération de ces œuvres d’art voit le jour d’abord une reconnaissance profane pour aboutir à une reconnaissance religieuse. L’abondance des cantiques en langues traditionnelles malgré les difficultés témoigne en faveur de ce progrès significatif.
La colonisation quasi systématique de tout le continent africain aura un double effet. En réprimant et détruisant les œuvres d’art de cette période, elle réduisait sans le savoir, les artistes à la clandestinité. Et d’autre part, le contact permanent avec le colonisateur aura un rôle majeur. Car on a l’introduction de nouveaux instruments dans la musique, la guitare et le piano en l’occurrence au lieu du mvet et du tam-tam ou du balafon. Le romantisme prend aussi une place importante. On passe alors de la littérature orale à une littérature écrite. Quelques noms méritent d’être soulignés : Eza Boto ou encore Mongo Beti (Alexandre Biyidi) au Cameroun, Cheik ahmidou Kane au Sénégal, Camara Laye en Guinée pour ne citer que ceux la. Il convient de noter que les « véritables centres de promotion de l’art naissent sous l’impulsion chrétienne où l’apport nouveau se conjugue avec le génie traditionnel »[54]. On a alors une jonction entre le traditionnel le religieux et le moderne. Aussi pour Théodore Mudiji Malamba,
« Parmi les têtes d’affiches de l’art moderne d’Afrique noire, il y a à citer le professeur Père jésuite Engelbert Mveng.[…] Ce pionnier fut d’une créativité exceptionnelle sur le plan des réalisations théoriques et pratiques. On peut citer parmi les ouvrages écrits par lui et illustrés par ces œuvres : Si quelqu’un… (Chemin de croix),[…]; Art nègre, art religieux, […]; L’artisan créateur,[…], les martyrs de l’Ouganda, tableau dans la chapelle du collège Libermann à Douala. [ les fresques de l’autel de la Cathédrale Notre Dame des Victoires de Yaoundé et de l’autel de la chapelle de l’Université catholique d’Afrique centrale (campus de Yaoundé Nkolbisson). On retiendra le symbolisme en art africain comme l’un des apports déterminants de ses études et réalisations »[55].

B Etude panoramique du savoir faire camerounais

L’art camerounais a nécessairement subit la même histoire et influence que les autres pays du continent noir sauf à quelques nuances. Aussi la diversité historico géographique et culturelle du peuple camerounais n’est plus à démontrer au vu du nombre de langues (dialectes) et ethnies, tribus (environ 283) que l’on retrouve dans ce pays. D’où la belle appellation d’une « Afrique en miniature » que l’on a l’habitude de donner au Cameroun. C’est donc riche de ce potentiel indéniable que le Cameroun, fier de lui-même va s’ouvrir au monde entier.

1 Développement de l’art camerounais

Le socle sur lequel s’est bâti l’art camerounais est la résultante de la politique en vigueur, soit l’unité dans la diversité. Seulement le développement de l’art camerounais du point de vu d’une volonté politique fut très tardif. Car cette volonté est récente. Pour ce faire, dans le souci de promouvoir cet acquis, cette richesse inestimable, le président Paul Biya soulignait : « Notre diversité et notre richesse culturelles gagneraient à être mieux connues, mieux exploitées, mieux mises à la disposition de la nation et des étrangers »[56]. C’est pourquoi dès la création du Musée national par décret présidentiel en 1988 (installé depuis 2001 dans l’enceinte de l’ancien palais présidentiel), le ministère de la culture s’est donné pour priorité de faire connaître la culture, l’art camerounais[57]. De cet effort, naîtront alors au Cameroun quatre aires culturelles,(aire culturelle fang Beti, aire culturelle Sawa, aire culturelle Grass Field, aire Soudano Sahélienne) chacune avec sa particularité.
Chez les artistes eux-mêmes, on note une nette augmentation du nombre. Les sujets sont divers. En peinture, comme en musique, on ne se limite plus à la simple reproduction des modèles existants. L’artiste passe au devant de la scène et devient maître de son art. En conséquence le public est invité à consommer ce qui lui est proposé par le « créateur ». On a également un développement au niveau des instruments ; on passe successivement du battement des mains, du tam-tam, du Mvet à la guitare sèche d’abord puis électrique, au piano, à l’orgue…
L’avènement des cabarets vient donner aux artistes musiciens un lieu adéquat où s’exprimer. Le nombre important de ces lieux et la fréquence des fréquentations des camerounais en dit long sur ce phénomène qui a envahi la capitale à la fin des années quatre vingt. Depuis "Escalier Bar de Mvog-Ada" et "Eldorado de Nkomo", on a vu naître plusieurs autres établissements de ce genres. Il convient tout de même de déplorer les exagérations qui s’y font nous dit-on le plus souvent.
Le développement en peinture et art plastique est très louable tant du côté du génie créateur que du matériel utilisé. Par exemple Etienne Etogo (artiste camerounais situé à Bastos Yaoundé non loin du restaurant Chinois) qui arrive à concilier sur un même tableau le dessein, la sculpture et la peinture (la peinture en relief). Il se réclame du courant réaliste. En 1996, il publie de tableaux (12) dans ; le calendrier de Elf Serpca sous la direction de « L’Afrique des créateurs » par les éditions Gallimard[58]. Par ailleurs, on a aussi les artistes de la jeune génération. La dernière exposition d’Hervé Youmbi au centre culturel François Villon de Yaoundé (du 1er au 17 Novembre 2007) peut en quelque sorte démontrer la qualité et de la ferveur du langage artistique camerounais.
« The window of my soul est une installation de peintures constituée d’une vingtaine de portraits montés sur des battants de fenêtres [avec comme support des vieilles presses]. Elle plonge toute personne qui franchit l’espace d’exposition du Centre Culturel François Villon dans un couloir de regards. Un espace où l’on regarde et où l’on est regardé. Un espace qui interroge, qui nous invite à nous ouvrir à des échanges et des partages, mais aussi à des confrontations. Des faces à faces pour se dire toute la violence que l’on ressent l’un pour l’autre, comme seuls les yeux peuvent l’exprimer. […] The window of my soul invite à ouvrir les fenêtres de son âme pour une introspection qui doit mener chaque individu vers l’humanisme »[59].

Les exemples comme ceux cités plus haut sont nombreux et parlent d’eux-mêmes. Le développement des moyens de communication a aussi joué un rôle majeur dans l’essor de l’art camerounais. Notamment avec l’audiovisuel. Car dès l’ouverture de la Cameroon Television (C.T.V) en 1985 aujourd’hui Cameroon Radio Television (C.R.T.V), on a vu éclore divers type d’arts. Ceci facilité par les programmes qui varient au rythme des provinces. L’aménagement des espaces pour la diffusion du savoir faire camerounais fut alors une aubaine pour une culture quasi inconnue du grand public. La libéralisation du secteur de la communication avec l’ouverture des chaînes de télévisions et radio privées vient contribuer davantage à l’émergence de l’art camerounais. Dès lors il devient subséquemment impensable pour un camerounais quelque soi son activité et son statut social de passer une journée sans être au contact de l’art. Comme si l’art s’imposait à chacun.

2 Quelques propositions

Nous ne saurons achever ce travail sans quand même faire quelques suggestions au vu et au su de ce qu’est l’art .camerounais aujourd’hui. Car il faut reconnaître que si l’artiste camerounais (pas tous bien sûr) vit désormais de son art, les lieux d’essor ou d’exposition de ce savoir faire manque cruellement dans notre pays. La construction des structures où les artistes pourront se déployer aisément sans risque et sans crainte devient plus qu’urgente.
En second lieu l’ouverture de plusieurs établissements consacrés à l’apprentissage des beaux arts est envisageable surtout pour un pays qui veut se faire connaître par sa culture. L’hypothèse de l’introduction au programme scolaire des cours de dessins, de la culture traditionnelle serait aussi à long et à court terme d’un apport indéniable. Par ailleurs, il faudrait une véritable politique de promotion pour les établissements déjà existants notamment avec des journées portes ouvertes, l’ouverture d’un site web. Car très peu de camerounais connaissent l’existence du Musée national, et ne parlons pas du nombre de ceux qui s’y sont déjà rendus ne serait ce qu’une fois. Les efforts sont donc à faire de la part des directeurs de ces structures pour attirer le public, car une mentalité artistique s’acquiert par une éducation artistique.
Il faut aussi envisager l’organisation des jeux concours d’art entre établissements scolaires primaires comme secondaires voire universitaires. Il nécessite aussi d’encourager l’organisation des festivals d’art de toute sorte surtout dans les provinces car celles-ci sont le plus souvent délaissées au profit des grandes villes (Yaoundé et Douala).
L’aménagement des programmes de télévision et radio participerait aussi à l’éclosion de l’art camerounais. Car même si on fait la part belle à la musique, il faut aussi reconnaître qu’elle n’est qu’un art parmi tant d’autres et que ceux-ci demandent aussi à être considérés à leur juste valeur.
Les associations des artistes sont aussi à encourager et l’exigence d’une bonne gestion des droits d’auteurs doit animer les dirigeants de celles-ci. L’Etat doit être particulièrement attentif à ce sujet. Et ceci passe aussi par la lutte contre la piraterie et la protection des artistes et de leurs œuvres.

Conclusion
Au terme du présent travail, il apparaît en filigrane que le parcours historique de la pensée artistique fut très mouvementé tant les discours et les branches divergent à son sujet. Ceci par l’influence de l’essor de la pensée philosophique, de la science et de la technologie.
A l’origine socle de la société, l’art est au service du peuple au travers de la morale, de l’éducation, de la religion. Les activités de l’homme elles-mêmes formant un tout indissociable que l’on devrait observer en entier si on veut y voir de l’art.
Dès le VI è siècle avant Jésus Christ, on voit apparaître en Chine et en Grèce une nette démarcation avec un goût très accentué vers le Beau en tant que Beau, réplique du Vrai et du Bon.
Le moyen âge chrétien vient faire une rupture avec le profane. L’art y essentiellement orienté vers le transcendant. Soumettant ainsi toute l’activité artistique au contrôle de l’Eglise et de ses représentants, mettant de ce fait l’art à l’abri des dérives.
Toutefois, la période moderne viendra à son tour balayer cette conception utilitaire de l’art en prônant une indépendance quasi-totale de l’art. C’est le rayonnement du slogan « l’art pour l’art » si cher à certains, combattu par d’autres. C’est aussi la naissance des critères et des branches.
Aussi malgré les difficultés de reconnaissance de l’art africain, les œuvres d’art et l’histoire de l’art démontrent d’une intense activité artistique dans ce continent. Et le rayonnement des œuvres d’art provenant d’Afrique ou tout simplement produit par les Africains confirme cette thèse. De Manu Dibango, en musique à Jean-Jacques Kanté en peinture on voit éclore un art aussi complet que celui des artistes occidentaux.
Dès lors, force est de constater que même si une mentalité artistique est nécessaire pour une reconnaissance à juste titre d’une œuvre d’art, l’art existe sans tenir conte des questions de longitude et de latitude. Car il procède d’une volonté de faire et non de dire et tout homme est à une certaine mesure lui-même artiste soit par son activité ou alors par son jugement.

Bibliographie
Ouvrage de base :
Ø SCHUWER Camille, Les deux sens de l’art, presses universitaires de France, (Col. « initiation philosophique »), Paris, 1962, 121p.

Ouvrages secondaires :
Ø FERRY Luc, Le sens du Beau, aux origines de la culture contemporaine suivi d’un débat Ferry/ Sollers sur l’art contemporain, cercle d’art, Italie, 1998, 237p.
Ø JOACHIM Thomas, Introduction à la philosophie du faire, Presses de l’UCAC, (Col. « les publications du conseil scientifique » no 16), Yaoundé, 1998, 43p.
Ø MBALA OWONO Rigobert, Education et développement endogène en Afrique centrale, Ceper, Yaoundé, 1990, 142p.
Ø MUDIJI MALAMBA Théodore (Mgr), Esthétique ouverte à l’art africain, Editions du cerdaf, Kinshasa, 2004, 120p.
Ø MVENG Engelbert, L’art d’Afrique noire, Editions CLE, Yaoundé, 1974, 158p.
Ø // , L’art et l’artisanat africains, Editions CLE, Yaoundé, 1980, 163p.
Ø PHILIPPE Marie-Dominique, Philosophie de l’art, tome 1 Editions Universitaires, (Col. « sagesse »), [s.l.], 1991, 418p.

Autres ouvrages :
Ø Collection Microsoft® Encarta® 2006 [DVD] Microsoft corporation, 2005
Ø DUROZOI Gérard et ROUSSEL André, Dictionnaire de philosophie, Nathan, Paris, 1990, 367p.
Ø Encyclopedia Universalis corpus 3 et corpus 16, Paris, 1989
Ø Encyclopedia Universalis version 10
Ø Info ccfvy Novembre-Décembre 2007
Ø LALANDE André, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, P.U.F, Paris, (17è édition), 1991, 1323 p.

Table des matières
Introduction…………………………………………………………………………….1

Chapitre I : Evolution historique de l’art fonctionnel……………2
A L’art primitif……………………………………………………………………………..2
1 L’origine de l’art primitif et statut de l’artiste………..……………………………….....2
2 Les fonctions de l’art primitif……………………………………………………………3
B L’art dans l’Antiquité…………………………………………………………………....4
1 L’art chinois……………………….……………………………………………………..5
2 L’art grec…………………………………………………………………………...…….5
C L’art dans le moyen âge : le rayonnement de l’art chrétien……………………………..6
1 Son originalité……….…………………………………………………………………...6
2 Sa finalité……..………………………………………………………………………….7
Chapitre II Une approche critique…………………………………………….7
A Les limites du texte…………...…………………………………………………………8
1 L’aspect chronologique……………………………………………………………..........8
2 L’art égyptien…………………………………………………………………………….9
B Redécouverte de l’autre dimension de l’art : le Beau…………………………………..10
1 La naissance de l’Esthétique comme science……………………………………...........11
2 La beauté artistique………………...…………………………………………………...12
CHAPITRE III : LA DIMENSION UNITAIRE DE L’ART DANS LE DEVELOPEMENT DE L’ART AFRICAIN……………………………………………....14
A Brève historique de l’art africain……………………………………………………….14
1 L’art avant le contact avec l’Occident………………………………………….............14
2 L’influence de l’Occident………………………………………………………………15
B Etude panoramique du savoir faire camerounais……………………………………….16
1 Développement de l’art camerounais……………………………………………...........16
2 Quelques propositions…………………………………………………………………..18

CONCLUSION……………………………………………………………………………….20
Bibliographie……………………………………………………………………………21
Table des matieres……………………………………………………………………22



[1] Gérard DUROZOI et André ROUSSEL, Dictionnaire de philosophie, p. 29
[2] Camille SCHUWER, Les Deux sens de l’art, P.U.F, (Col. Initiation philosophique), Paris, 1962, 121p.
[3] Ibidem; p.3
[4] Ibidem, p.4
[5] Ibidem, p.5
[6] Ibidem, p.7
[7] Ibidem, pp.10-11
[8] Ibidem, p.15
[9] Ibidem, p.16
[10] Marie-Dominique PHILIPPE, Philosophie de l’art, p.32.
[11] Ibidem p.32
[12]Camille SCHUWER, Les deux sens de l’art, p. 17
[13] Ibidem, p. 17
[14] Ibidem, p.18
[15] Ibidem, p.18
[16] Ibidem, p.19
[17] Encyclopedia Universalis, corpus 2, p.614
[18] Ibidem
[19] Marie-Dominique PHILIPPE, Philosophie de l’art, p.32.
[20] Camille SCHUWER, Les deux sens de l’art, p.21
[21] St Augustin, cité par Camille SCHUWER, in les deux sens de l’art, p.21
[22] Luc FERRY, le Sens du beau aux origines de la culture contemporaine suivi d’un débat Ferry/ Sollers sur l’art contemporain, p.11
[23] Encyclopedia Universalis, corpus 16, p.794
[24] Engelbert MVENG, L’art et L’artisanat africains, p. 8
[25] Ibidem, p.8
[26] Théodore MUDIJI MALAMBA (Mgr), Esthétique ouverte à l’art africain, p.17
[27] Ibidem, p.18
[28] Cf. Engelbert MVENG, L’art et l’artisanat africains, première partie
[29] Cf. Marie-Dominique PHILIPPE, Philosophie de l’art, p.56
[30] Ibidem, p.56
[31] Ibidem, p.56
[32] Théodore MUDIJI MALAMBA (Mgr), Esthétique ouverte à l’art africain, p. 19
[33] Marie-Dominique PHILIPPE, Philosophie de l’art, pp.56-57
[34] Ibidem, p.57
[35] Esthétique. Microsoft® Encarta® 2006 [DVD], Microsoft corporation, 2005
[36] André LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, p.302
[37] Théodore MUDIJI MALAMBA (Mgr), Esthétique ouverte à l’art africain, p.44
[38] Ibidem
[39] Esthétique. Microsoft® Encarta® 2006 [DVD]. Microsoft corporation, 2005.
[40] Encyclopedia Universalis, corpus 3, p.31
[41] Ibidem
[42] Ibidem, p.30
[43] "Beau (philosophie)", Microsoft® Encarta® 2006 [DVD]. Microsoft corporation, 2005
[44] Encyclopedia Universalis, version 10
[45] Esthétique. Microsoft® Encarta® 2006 [DVD]. Microsoft corporation, 2005.
[46] Camille SCHUWER, Les deux sens de l’art, pp.76-77
[47] Encyclopedia Universalis, corpus 16, p. 794
[48] Ibidem
[49] Cf. Théodore MUDIJI MALAMBA (Mgr), Esthétique ouverte à l’art africain, p.31
[50] Cf. Thomas JOACHIM, Introduction à la philosophie du faire, pp.21-26
[51] Engelbert MVENG, L’art d’Afrique noire, p.57
[52] Engelbert MVENG, L’art et l’artisanat africain, p.42
[53] Cf. Théodore MUDIJI MALAMBA (Mgr), Esthétique ouverte à l’art africain, p.30
[54] Ibidem, p.35
[55] Ibidem, p.37
[56] Rigobert MBALA OWONO, Education et développement endogène en Afrique centrale, p.2
[57] Source orale, entretien réalisé avec le guide du Musée national le 5 Mai 2007
[58] Source orale, entretien avec l’artiste Etienne ETOGO, réalisé le 15 Novembre 2007
[59] Info Centre culturel François VILLON de Yaoundé (ccfvy), Novembre-Décembre 2007

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